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Le Gwenn ha du

Comment la Bretagne s’est donnée un drapeau

 

On le porte à bout de bras, contrairement à l’usage français. Le drapeau breton, le  » Gwenn ha Du « , va fêter l’an prochain ses 90 ans, mais son histoire est bien plus ancienne. Et les récits qui gravitent autour de lui et de son créateur, Morvan Marchal, sont innombrables et passionnés.

 

Noir et blanc, le Gwenn ha Du est le drapeau à ne comporter aucune autre couleur. Sans couleur mais non sans relief, il est comme son pays. Pour Gwenc’hlan Le Scouëzec (druide et auteur du  » Guide de la Bretagne « ),  » sur la terre d’Armorique, la lumière se manifeste ainsi dans la sobriété « , mais on peut dire qu’elle brille de par le monde, grâce aux Bretons installés à l’étranger. Un vieux dicton l’affirme : « Lec’h ma tremen an heol, e tremen ar breton  » (partout où le soleil passe… ). 

 

La Bretagne est ainsi… multiple : traditionnelle et moderne, contemplative et active. Elle offre pas moins de soixante-six costumes différents et parle deux langues, sans compter les dialectes. Et cependant elle n’affiche qu’un seul drapeau, le Gwenn ha Du. 

 

L’écu au champ d’argent semé d’hermines a été l’emblème officiel du duché de Bretagne. Il apparaît pour la première fois sur un sceau de 1318. Ce blason des ducs de Bretagne porte la devise « Potius mori quam foedari » (plutôt mourir que d’être souillé). La duchesse Anne, dit la légende, vit une hermine traquée par des chasseurs interrompre sa fuite devant une mare boueuse. L’animal choisit de mourir plutôt que de tacher son beau pelage blanc. Anne obtint la grâce de la bête et adopta sa fourrure comme symbole héraldique évident de la Bretagne. Par la suite, le mouvement breton abandonnera cet emblème à cause de la confusion, fréquente dans les milieux populaires comme chez les journalistes, avec les fleurs de lys de la royauté. Puis, en 1925, un dénommé Morvan Marchal, architecte à Laval et cofondateur de Breiz Atao, fera naître sous son crayon le Gwenn ha Du, en s’inspirant des armes de Rennes (écusson de bandes blanches et noires verticales, cantonné d’un semis d’hermines). L’ancien étudiant des beaux-arts a expliqué dans les colonnes d' » Ouest-Eclair », le 10 octobre 1937, sa vision somme toute très moderne du drapeau breton : « Il convient d’abord de constater que les pavillons nationaux ou régionaux ne cessent, par voie de simplification de leurs motifs, de s’éloigner de la formule héraldique primitive, d’un dessin souvent complexe, qui leur a donné naissance. Il convient en effet qu’un étendard, destiné à être vu de loin, n’ offre que des éléments simples de forme pour être lisibles. Ceci suffit à ne faire admettre qu’avec d’expresses réserves l’idée, par ailleurs ingénieuse, qui consisterait à agrémenter l’emblème blanc traditionnel d’une hermine noire passante. Outre qu’un tel drapeau est d’exécution malaisée, que la proportion à donner au sujet animal est bien difficile à déterminer, l’emploi d’un motif si purement héraldique constitue en matière de pavillon une parfaite régression. (…) J’ai donc pensé, et continue à croire, qu’en conservant au maximum les couleurs et les hermines primitives, l’on pouvait composer un drapeau breton d’esprit moderne. En voici la signification : au coin gauche du drapeau, neuf bandes égales, alternativement noires et blanches, couleurs traditionnelles, lesquelles bandes représentent, les blanches, les pays bretonnants : Léon, Cornouaille, Trégor, Vannetais ; les noires, les pays gallos : Rennais, Nantais, Dolois, Malouin, Penthièvre. Ce drapeau qui, je le répète, n’a jamais voulu être un drapeau politique, mais un emblème moderne de la Bretagne, me paraît constituer une synthèse parfaitement acceptable de la tradition du drapeau d’hermines pleines et d’une figuration de la diversité bretonne. » 

 

Les anciens et les modernes 

 

Cette naissance du drapeau breton ne s’est pas faite sans douleur. Des intellectuels comme Abalor (alias Léon Le Berre, le barde) ont fustigé cette création et ses défenseurs. Sans doute, « porteur » du message de la Bretagne traditionnelle, Abalor a-t-il cru pouvoir éliminer le semis d’hermines en démontrant que l’animal en question rappelait la soumission à la France. Sa mémoire était quelque peu défaillante, puisqu’en 1937 il souhaitait imposer ce même semis, seul, contre le Gwenn ha Du de Morvan Marchal. La dispute entre les deux hommes a longtemps défrayé la chronique et nourri les pages d' »Ouest-Eclair » et de « La Bretagne à Paris », journaux peu enclins à la complaisance envers les « séparatistes ». Herry Caouissin, alors jeune secrétaire du mouvement Bleun Brug (animé par l’abbé Jean-Marie Perrot, exécuté par le résistance en 1943, symbole de l’union bretonne) se souvient de l’incident qui a déclenché cette « guerre de douze ans » : « Pour le congrès du Bleun Brug à Plougastel en 1937, nous avions décidé de planter notre drapeau (le Gwenn ha Du) sur la mairie, où se tenaient nos réunions. C’était un morceau de drap sur lequel les bandes avaient été tracées avec du cirage et les hermines réalisées au pochoir. Notre premier étendard n’était donc qu’un morceau de chiffon noirci au cirage ! Mais Abalor s’est enflammé parce que notre Gwenn ha Du était le seul drapeau à flotter au fronton de l’édifice. Il nous accusa de séparatisme. En fait, deux « excités » (dont nous tairons les noms) avaient pris, seuls, l’initiative de décrocher les drapeaux tricolores qui l’encadraient. L’émotion fut grande, et plusieurs incidents de ce genre nous ont discrédités par la suite aux yeux de beaucoup, alors que nous n’étions pas des séparatistes !  » 

 

Hier maudit, aujourd’hui adulé 

 

Longtemps, les pouvoirs publics et l’opinion jugeront le Gwenn ha Du comme un drapeau séditieux. Mais les mentalités changent… Il est bien fini, le temps où des fonctionnaires un peu trop zélés frappaient d’une amende les propriétaires de quatre-roues arborant fièrement un autocollant BZH sur leur véhicule. Des années après sa création, le drapeau à bandes se montre au grand jour. Au parc des Princes et à Rennes, il salue les triomphes sportifs des footballeurs rennais. Le bagad de Lann-Bihoué (formation musicale de la base aéronavale proche de Lorient), le bagad militaire de la lande d’Ouée (environs de Rennes) et divers régiments de l’armée de terre arborent ses couleurs lors des grands défilés publics. On le fixe au frontispice d’un grand nombre de mairies, à côté de notre drapeau national. Bref, le Gwenn ha Du est aujourd’hui débarrassé, semble-t-il, de ses connotations politiques, même si, comme le disait Ernest Renan, il y a dans tout Breton un germe de séparatisme. 

 

Dans les concerts de musique celtique, les festou-noz, les réunions de scouts, les cérémonies druidiques, les congrès politiques, les commémorations du souvenir, les défilés folkloriques et les manifestations les plus diverses, de colère ou de paix, il y a toujours un drapeau breton qui flotte au-dessus de la mêlée pour rappeler cet attachement à la Bretagne. Quoi de plus normal, en effet, et de plus naturel, que d’aimer sa terre et d’en faire la démonstration pacifique en arborant fièrement son symbole : le Gwenn ha Du. 

 

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MORVAN MARCHAL

CRÉATEUR DU DRAPEAU BRETON MODERNE 

 

Maurice Charles Marchal, dit Morvan Marchal, est né à Vitré le 13 juillet 1900. Après ses études aux beaux-arts de Rennes, il obtient le deuxième prix d’architecture de Rome (1924-1925), peu avant de dessiner sa version moderne du drapeau breton. Architecte diplômé et titulaire de la chaire d’architecture de l’école de Rennes, Morvan Marchal, nationaliste actif et convaincu, sera l’ initiateur-fondateur (1918) du mouvement Breiz Atao (Bretagne toujours), aux revendications autonomistes marquées. Il devient membre de l’Unvaniez Yaouankiz Vreiz (Union de la jeunesse bretonne) l’année suivante, avant d’adhérer à la franc-maçonnerie. Coprésident du Parti autonomiste breton en 1927, il en démissionne un an plus tard, pour adhérer au Parti radical. Lorsque le P A B se fédéralise (1931), Morvan Marchal est de retour. Il fonde alors la Ligue fédéraliste de Bretagne. Malheureusement, un premier attentat, commis à Rennes et revendiqué par le mouvement Gwenn ha Du, entraîne son exclusion du Parti radical-socialiste. Le LFB sombre dans le néant en 1936, et son créateur abandonne toute activité politique pour se consacrer à la revue druidique « Kad ». L’architecte de Laval, isolé et dans le plus grand dénuement, oublié de tous, meurt à Paris en 1963.

 

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LES NEUFS PAYS BRETONS TRADITIONNELS 

 

Les neuf bandes (cinq noires et quatre blanches) du Gwenn ha Du symbolisent les neuf « broioù » (pays) traditionnels (évêchés antérieurs à la Révolution). Cette notion de broioù est toujours très vivace. Son existence nourrit l’attachement des Bretons à leur terroir. Les quatre pays bretonnants représentés par les bandes blanches sont : 

– Bro Gernev (le pays de Cornouaille), l’ancien évêché de Quimper et le comté de Cornouaille. 
– Bro Léon (le pays du Léon), qui tire son nom des légions gallo-romaines. Les mercenaires celtes s’y étaient vu offrir des terres, en rétribution de leurs services passés. Le Léon est l’ancien évêché de Saint-Pol et la vicomté de Léon. 
– Bro Dreger (le pays du Trégor), l’ancien évêché de Landreger. 
– Bro Wened (le pays et l’évêché de Vannes), qui tire son nom des Vénètes. 

 

– Bro Sant Brieg (le pays de Saint-Brieuc), 
– Bro Sant Malv (le pays de Saint-Malo), 
– Bro Zol (le pays de Dol-de-Bretagne), 
– Bro Roazhon (le pays de Rennes),
– Bro an Naoned (le pays de Nantes) 

sont les cinq évêchés de langue française, représentés par les cinq bandes noires, où se parlent encore des dialectes gallos, c’est-à-dire d’origine gallo-romaine, mélange de gaulois, de brittonique (rameau de la langue celtique comprenant le gallois et le breton) et de latin. 

 

À l’époque de la création du drapeau breton, cette suite de distinctions ne tenait pas compte du développement grandissant du breton, que l’on enseigne ou parle aujourd’hui à Rennes comme à Nantes. 

 

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DU SYMBOLE DE L’AUTONOMIE À CELUI DE LA RÉGION

 

Le Gwenn ha Du fut arboré officiellement pour la première fois en 1925, au pavillon de la Bretagne, lors de l’Exposition universelle des arts et des techniques de Paris. C’est ainsi que le drapeau breton, considéré comme le symbole de l’autonomie, devint plus simplement le symbole de la région Bretagne. L’un des animateurs de cet événement, R.- Y. Kreston, explique son point de vue : « Lorsqu’il a fallu choisir l’emblème du pavillon breton, c’est le drapeau à bandes qui a été désigné comme étant le symbole le plus exact de la Bretagne nouvelle. » 

Le Gwenn ha Du flottera également en 1937 sur l’esplanade des Invalides, au milieu des drapeaux du monde entier, pour l’Exposition internationale, enterrant du même coup le « ridicule projet de drapeau du barde Abalor « , le traditionnel semis d’hermines que défendaient bon nombre de traditionalistes. 

 

article paru dans Pays de Bretagne n° 3, et rectifié suivant les dernières infos